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Interview de Valerian Guillaume à l’occasion de la sortie de son premier roman « Nul si découvert »

Valérian bonjour, 
Première question:
Pourquoi ce titre, « Nul si découvert » ?

J’ai toujours l’impression que la vie d’un titre, que ce soit pour une pièce de théâtre ou un roman, est une chose étonnante, voire mystérieuse. En effet, il arrive quelquefois que ce titre arrive très tard… bien après le début du travail d’écriture de l’oeuvre. Par exemple, je travaille en ce moment même sur un spectacle dont le titre n’arrêtait pas de changer. Je viens de le trouver il y a peu ce qui est toujours une petite épiphanie dans la vie d’un auteur. Pour ce qui est de « Nul si découvert », le titre est arrivé tout de suite, presque avant l’écriture des premières lignes puisque je n’en étais qu’au brouillon de ce qu’allait être l’histoire. Il est arrivé très tôt pour plusieurs raisons. À l’origine, j’aurais voulu écrire sur l’univers des Jeux à gratter et sur la mythologie contemporaine que ceux-ci peuvent provoquer dans nos imaginaires, la Française des jeux étant tout de même quelque chose d’assez tentaculaire dans toutes les villes de France. De plus, le jeu au sens large est quelque chose qui m’intéresse beaucoup dans tout ce que cela déploie, dans tout ce que politiquement cela peut engendrer. Avec ce titre, je voulais donc toucher à cette mythologie dont je parlais plus haut afin de pouvoir en exorciser une sorte de poème. Après la disparition du jeu à gratter dans la fable du roman ce titre est resté, car je trouvais qu’il y avait là une sorte de poésie dans cette condition de nullité. Effectivement, le personnage, s’il est découvert dans ses contemplations, dans ses obsessions, devient nul. En ressort une sorte de cavale que je trouve intéressante. Pour en finir avec cette question, le personnage deviendrait nul s’il arrêtait de consommer.

Comment t’est venue l’idée de cette longue phrase ?

Cette longue phrase est venue d’elle-même. Lorsque j’ai commencé à écrire je me suis laissé aller par le flux de mes pensées j’ai donc trouvé intéressant de me laisser porter par cette vague. Tout ce processus était très organique. En effet, comme je le dis toujours je viens du jeu, du plateau et du théâtre où la parole est très importante, j’écris d’ailleurs souvent debout ou en tout cas avec la voix, la parole. J’ai donc abordé ce roman comme un acteur qui improviserait un texte ou un musicien de jazz qui ferait des variations autour d’une partition. J’ai d’ailleurs eu souvent l’impression que le personnage tout en écrivant advenait, il est apparu et je l’ai simplement pris par la main en quelque sorte pour l’accompagner dans son road movie périurbain, dans tous ces magasins et à l’intérieur même de sa conscience. C’est pourquoi au fil des lignes, je le rencontrais, je n’avais donc aucune idée à l’avance des événements qu’il allait traverser ni même de la nature de ses sentiments. Cette forme de liberté d’écriture est importante pour moi. En effet, je trouve que nous vivons à une époque où nous autres artistes, et pas seulement nous d’ailleurs, nous nous devons de dire très clairement ce à quoi nous aspirons. Que cela soit dans des notes d’intention ou comme pour le théâtre des dossiers de production. Des dossiers qui s’étalent parfois sur trois ans et où on nous demande d’expliquer en détail notre projet. Un procédé que je trouve utile de remettre en question, car je ne me connais pas assez pour dire ce que j’écrirais dans trois ans. Pour moi l’écriture doit rester une expérience au sens propre puisque j’ai besoin que ce que j’écris me change. 

À aucun moment, tu ne décris le héros, ne nous laissant comme seule piste une forte corpulence dûe à l’hygiène de vie du démon. Pourquoi ce choix ? 

En ce qui concerne l’aspect physique du personnage et par effet de cause de son démon, il y a quelque chose de vraiment étonnant. Habituellement, lorsque je crée un personnage, j’ai une idée très précise de son physique. Cependant, je n’aime pas donner trop de détail aux lecteurs, afin qu’ils puissent vraiment se plonger dans le récit. De plus, j’écris beaucoup pour le théâtre et les informations usuelles, du sexe, de l’âge, etc des personnages sont complétés par la personne qui va les incarner. Pourtant, très très étrangement dans le cas de « Nul si découvert« , je n’avais et n’est toujours pas d’idée de l’apparence que mon personnage revêt. Peut-être ressemble-t-il à des gens que je connais et peut-être même à moi, qui sait ? Il y a toujours un peu de nous dans ce que nous écrivons. Je n’ai donc aucune idée de son aspect physique si bien que je serais bien embêté si je devais adapter le roman au théâtre ou au cinéma. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai lancé cette expérience avec ce podcast en ligne où je propose à plusieurs voix de s’emparer de ce personnage. J’ai en effet l’impression qu’il pourrait être tout le monde, une sorte de « Monsieur N’importe qui ». En ce qui concerne l’aspect du démon, cela a vraiment été un problème lors du retravaille du texte avec mon éditrice de chez l’Olivier, Nathalie Kuperman. À l’origine, le démon revêtait toute l’iconographie qui est notre héritage, c’est-à-dire, de la Bible, des textes religieux, etc. Le Malin avec des griffes, des cornes, ce genre de choses, mais aussi avec des aspects emprunts à l’univers fantaisie qui me nourrit aussi au quotidien. Puis, j’ai eu un déclic et me suis dit qu’il n’était finalement pas intéressant de le présenter ainsi. Pour moi le démon est polymorphe et se doit de changer, de s’adapter et c’est cette manière de paraître à la fois changeante et continue qui fait de lui la plus grande des menaces. Peut-être qu’aujourd’hui, dans ce monde capitaliste et cette terre consumérée dans lesquels nous vivons le démon est plus à l’intérieur de chacun qu’autour de nous. De plus, représenter les dangers à l’extérieur de nous les amoindrit. Je voulais donc travailler sur cette ambiguïté des deux personnages en effaçant tout trait caractéristique de l’un comme de l’autre. 

En lisant le roman, nous n’avons pas pu nous empêcher de penser que son héros était autiste, car malgré son élection décousue, il est loin d’être stupide. Est-ce comme ça que tu le vois ?

En ce qui concerne cette question, pour moi le personnage principal n’est effectivement pas quelqu’un de fou. C’est un poète qui regarde le monde avec les yeux qui sont les siens. Et je pense que la poésie se manifeste dans les yeux de celui qui sait regarder le monde à sa manière. Pour moi, le héros, contrairement à ce que l’on pourrait penser, est puissant dans sa capacité à voir le monde. Nous pourrions l’imaginer comme une victime, cependant, il est beaucoup plus grand que cela. S’il appartient effectivement à l’ordre des antihéros, il y a quelque chose d’héroïque dans sa façon d’être et de penser. Cette idée me bouleverse puisque pour moi, nous avons tous quelque chose de ça en nous. Pour en revenir à la question de l’autisme, j’ai voulu travailler une perception altérée, une perception peut-être endommagée par cette vie en périphérie de grande ville (que j’ai moi-même connue). Ces endroits où nous trouvons des vies brisées, endommagées par un système qui n’arrive pas à les accueillir. Des hommes et des femmes qui pourtant rêvent d’enfin entrer dans ce cercle dont ils se sentent exclus. Cela revient à se poser la question: « Comment fait-on lorsque l’on ne correspond à rien ?  » Je n’ai vocation qu’à écrire des paroles de marginaux, de fous, de dingues. En effet, les gens trop dans les cases me font peur, beaucoup plus que les gens en marge en tout cas. Cette question sur l’autisme du héros est donc assez délicate pour moi, car à aucun moment je ne l’ai imaginé comme tel. 

Certaines réflexions du héros font penser à la philosophie bouddhiste. Est-ce une religion que tu admires ?

Effectivement, le bouddhisme et autres religions sont des pensées qui me plaisent énormément. Je trouve que lorsque nous pratiquons des arts vivants, celles-ci irriguent souvent nos créations. Ce qui me rapproche surtout des mouvements religieux, c’est que j’aime les façons dont les cosmogonies inventent des histoires afin d’expliquer les origines du monde. Peut-être, que nous même nous essayons, lorsque nous écrivons, d’inventer un monde. C’est pourquoi, sans prétention aucune, j’essaie, lorsque j’écris un roman ou un spectacle, d’imaginer quelque chose de beaucoup plus grand que moi, de plus intéressant que moi, de plus vivant que moi. Parfois, cela aboutit à des monstres, mais toujours à quelque chose qui  se soulève et existe pleinement et surtout qui vit indépendamment de moi. 

La scène où le héros oublie de nourrir son démon et que celui-ci le punit est assez violente. Pourquoi un écart aussi soudain que brutal en plein milieu du roman ?

J’aime beaucoup les ruptures et je pense que c’était aussi une bonne façon de faire germer à l’intérieur du personnage principal un démon latent. Un monstre que l’on aurait presque put oublier, mais qui sommeillait en lui et se réveille tout à coup dans un cas de dysfonctionnement. Les gens cachent beaucoup de choses, mettent en place tout un tas de stratagèmes pour les soustraire au regard des autres et de temps à autre, le corps parle et s’exprime afin de satisfaire à un besoin, parfois violent, parfois passionné ou bien même tendre, pourquoi pas. J’avais donc envie que cet éclat arrive à un moment donné et particulièrement au milieu du roman afin d’interrompre ce flux continu, non pas dans l’arrêt des mots, mais dans celui d’une situation. Il rentre chez lui après sa promenade quotidienne et le démon se réveille, ce qui revient à dire que ses déambulations lui servent à se fuir lui-même. 

Il y a un personnage un peu hors-norme dans le roman. Sans trop dévoiler l’intrigue, peux-tu nous parler de Cypréa, s’il te plaît ?

Cypréa est un personnage qui me fait beaucoup rire et qui était beaucoup plus présent dans les premières moutures du texte. À l’origine le héros devait entrer dans un grand domaine blanc où l’attendait une horde de pingouins servants, un monde que l’on pourrait assimiler à toutes ses iconographies de publicités liées aux surgelés notamment. C’était un petit délire de ma part qui m’a fait beaucoup rire, c’est pourquoi j’aurais aimé le conserver. Cependant, écrire c’est aussi apprendre les deuils et j’ai dû m’en défaire. Néanmoins, je vois cette personne comme une sorte de messie réinventé, une sorte de réponse qui m’apparaissait très belle. Par exemple, dans la mythologie j’aime, entre autres, beaucoup Médée ce personnage qui s’en va à midi au moment où le soleil est au plus haut. J’aime beaucoup cette idée d’être emmené, de s’évaporer en quelque sorte. D’ailleurs, je viens de me rendre compte que mes trois dernières pièces pourraient s’apparenter à une trilogie de ciel. En effet, dans ces trois pièces, les personnages s‘envolent dans le ciel. Le héros du roman s’évapore lui aussi et je réalise, en l’écrivant, qu’il y a une sorte de réalisation par le ciel dans le livre. Cypréa est donc peut-être la personne qui l’entend, le connaît et le sait et c’est pourquoi elle va réussir là où toute entreprise extérieure n’a pas abouti. C’est pourquoi j’aime beaucoup ce personnage. 

Comment t’est venue l’idée de la photo de couverture ?

L’idée n’est pas de moi, ce sont Oliver Cohen et Nathalie Kuperman, les éditeurs de l’Olivier qui l’ont eue. D’ailleurs j’appréhendais un peu ce passage à la couverture du roman, car je trouve que souvent, et pas seulement chez l’Olivier, cela teinte beaucoup l’univers de l’oeuvre et cela donne un message en amont de la lecture qui peut tromper le lecteur. Cependant, pour “Nul si découvert”, j’ai été très content de cette image que je trouve très à propos. On y retrouve cette idée de quelqu’un qui se couvre avec les rayons d’un hypermarché et devient par conséquent un homme caméléon. Cette photo fait donc écho à la scène où le héros pénètre dans le royaume de Cypréa faisant ainsi corps avec le rayon des surgelés et devenant à sa manière un glaçon.

Quels sont tes projets ? Ce premier roman t’a-t-il donné envie d’en écrire un autre ? 

Comme je l’ai évoqué dans les réponses précédentes, je me consacre beaucoup à l’écriture de pièces de théâtre. Je viens d’ailleurs d’en achever une qui a remporté le prix national d’aide à la création de textes dramatiques de l’ARTCENA, ce qui me comble de joie. Celle-ci s’appelle « Richard dans les étoiles » et raconte l’histoire d’un homme qui s’appelle Loïc. Ce personnage fait des frites comme sa famille l’a toujours fait de génération en génération. Loïc est une sorte de Kafka de la frite, ci bien que les gens en deviennent fous, et provoquent devant son établissement des queues interminables. En découlent des scènes d’hystéries collectives comme celles que nous pouvons voir parfois pendant les soldes. Pourtant, lui se rêve la nuit en tant que rock star et un beau jour en plein service, il est traversé par une sorte de flash et décide de tout plaquer pour vivre sa réelle passion. Eh ! là, c’est le drame, cet arrêt devient même politique, car le préfet lui-même va se joindre à sa famille afin de lui faire entendre raison. À la fin, Loïc s’envole au-dessus de sa baraque à frites pour rejoindre les étoiles et plonger dans le poème. Voilà, qui fait un peu spoil, mais j’aime bien ça, car cela permet de recevoir le texte autrement. À côté de cela, je passe depuis 2018 un doctorat de recherche création, dont je devrais sortir, si tous va bien, l’année prochaine. Dans ce cadre, je dois réaliser trois spectacles tournant autour des écritures réalisées en scène, c’est-à-dire que je me livre moi-même en tant qu’écrivain et auteur sur la scène à des écritures en direct devant les spectateurs. Trois projets donc, dont celui au titre changeant et fluctuant évoqué plus haut, s’intitulant « Capharnaüm poème théâtral » dans lequel j’écris ce moment où l’âme quitte le corps, car j’écris beaucoup sur les cas de morts imminentes. Pour finir, je suis sur l’écriture d’un autre roman qui s’appellerait, je ne sais même pas si je dois l’écrire, puisque ce n’est pas sûr du tout. Mais bon, c’est bien aussi lorsque ce n’est pas sûr du tout. Qui s’appellerait donc « Plan large« . Ce serait l’histoire d’un poème virus qui viendrait polluer un récit. Récit qui raconterait l’histoire d’une personne âgée au seuil de la mort, mais qui ne pourrait pas mourir. Un personnage condamné à emmagasiner des souvenirs au point de devenir une pièce d’antiquité exposée dans un musée dans les siècles à venir. Voilà, c’est en court donc à prendre au conditionnel pour le moment, nous pourrons en reparler avec grand plaisir dans quelques mois (NDR: Le rendez-vous est pris, Valérian). Je suis donc dans la période de note, de rêverie que j’aime tant, depuis quelques mois. Pour trouver l’inspiration, je me suis beaucoup renseigné sur les nouveaux marchés de la mort et du souvenir qui sont, il faut bien l’avouer aussi fascinants qu’ils sont cloques. Par exemple à Honk-Kong la densité est telle qu’une place dans un cimetière est de cent trente mille dollars. Ci bien que des entreprises pour répondre à cela innovent, comme toute star-up ferait aujourd’hui avec n’importe quel nouveau besoin. Celles-ci proposent donc de conserver les cendres d’un proche dans des entrepôts à la Amazon tout en créant des cimetières dématérialisés où l’on peut aller visiter la tombe des défunts. Voilà sur quoi je voudrais écrire, sur la question de la mémoire et sur la manière dont notre rapport à la mort évolue avec les nouvelles technologies. 

Enfin, 
Quelle question ne t’a-t-on jamais posée, mais à laquelle tu aimerais répondre ?

Voilà une question intéressante. Je ne sais pas trop, c’est vrai que c’est une belle question ça… On nous pose rarement des questions sur nos paysages préférés, les endroits qui nous font du bien, ou les musiques (quoique les musiques sont des paysages aussi).
Moi, c’est la mer, je vis et je viens de la mer. C’est d’ailleurs très drôle, car je me livre depuis quelque temps, pour mon doctorat, à de nombreuses tentatives d’écriture un peu « out of consciousness » où je me laisse traverser par une sorte d’écriture automatique et je suis absolument frappé de voir à quel point la mer, la marée et toutes ces choses-là reviennent souvent. Je crois que lorsque je ne sais pas quoi écrire, j’écris sur l’eau. 

Merci, Valérian et encore bravo pour ce premier essai plus que réussi.
Pour ceux qui ne l’ont pas déjà lue, n’hésitez pas à lire notre chronique sur le roman « Nul si découvert » que vous trouverez ici.

Propose recueillis, le 11 juin 2020 et retranscrits d’après un fichier audio. 

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